
Le chamanisme serait l'art de faire des ponts entre les mondes visibles (notre réalité matérielle) et invisibles (le monde des esprits). Lorsque que l’on est français et que l’on plonge dans ces pratiques, on s’adonne vite à l’art de faire des ponts entre notre culture et d’autres cultures autochtones.
Le gouffre avec nos racines chamaniques est tel en occident, qu’il est parfois plus facile d’aller voyager à la rencontre de cultures étrangères qui n’ont pas été déracinées de leurs pratiques ancestrales.
Car il n’y a pas de texte en chamanisme, de transmission écrite. Tout se transmet à l’oral, par les pratiques directement, de maître à apprenti.
Le mot “chamanisme” évoque quelque chose d’exotique, d’étranger. Pourtant, ces savoirs ont bien existé en France. Mais il ont été détruits par la religion catholique qui les voyait comme un ennemi à abattre pour imposer sa doctrine, lors de l'Inquisition.
La conférence “Importer des pratiques chamaniques en Occident” au Musée du Quai Branly du 6 décembre 2018, démontre bien qu’il y a cet aspect “d’ailleurs”, “d’étranger”, quand il s’agit de chamanisme.
Alors comment s’y retrouve t-on lorsqu'on est un français, une française, et que l’on pratique le chamanisme?
Nous avons, dans tous les cas, à faire avec un gouffre, un trou noir, qui vient s’immiscer dans notre mental en recherche de repères culturels.
C’est notre essence profonde, qui nous pousse à nous mettre en contact avec ces énergies. Notre âme, elle, est totalement à l’aise avec une forme de savoir qui vient de l’Éternel. Pourtant, nous sommes aussi des êtres de culture, et nous devons trouver des repères lorsque nous pratiquons. Le folklore très prononcé (les plumes, les costumes, les danses…) peuvent être parfois être frein à la pratique.
J’avais moi-même des préjugés sur le chamanisme, j’ai été rassurée lorsque la personne qui m’a initié en 2016 était un homme “classique”, occidental.
Après plusieurs initiations, c’est un voyage en Amazonie, en 2022, qui s’est présenté comme une évidence.
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Asséchée par notre culture occidentale, je suis partie en Amazonie équatorienne et péruvienne afin d’être immergée dans une culture où le “tout est esprit” est une évidence. Pour reprendre les mots d’un ami: “Ici, tout est mort”. Car c’est dans notre vision du monde, que nous avons “tué” l’esprit qui anime toute chose.
C’est l’association Arutam qui m’a accompagnée pour ce voyage. En Équateur et au Pérou, j’ai rencontré des chamanes pour participer à des cérémonies d’Ayahuasca. J’ai été portée, lors de grandes chevauchées nocturnes, par les voix des chamanes, les sons de la forêt, mes vomissements et mes révélations intérieures.
Lors de ces voyages immobiles, en fin de cérémonie, les effets de la plante se calmaient et laissaient place à un grand calme, ou parfois, à des sursauts de conscience humaine: “Comme c’était dur! Enfin, c’est fini”.
Dans le noir presque complet, j’entendais quelques toussotements de mes sœurs et frères d’aventure, les chants de fin des chamans, un oiseau au loin, les insectes.
Tout était à la fois si enveloppant et si effrayant.
Dans ce calme abyssal d’une forêt grondante, l’ombre du chaman se découpe avec un briquet allumé pour fumer le “Mapacho” (tabac). Le geste était à la fois nonchalant et imprégné d’une grande douceur. Comme si le chaman avait conscience que le moindre de ces gestes pouvait avoir un impact décisif dans notre psychée. Lui et nos esprits ne formaient qu’un.
En étant en présence totale avec son mapacho, le chaman nous transmettait son calme, essentiel pour retrouver notre présence dans notre corps et remettre de l’ordre dans nos têtes.
La fumée sort de sa bouche, l’oiseau chante, une femme tousse. Dans l’odeur du tabac et le goût laissé par l’Ayahuasca dans ma bouche, j’ai su à cet instant précis, que j’étais à ma place.
Après avoir chevauché la Liane (l’Ayahuasca) dans toute sa profondeur et sa puissance, nous avons, entre femmes, pris des bains de fleurs.
Les couleurs des pétales au milieu de la rivière d’Amazonie donnaient un spectacle grandiose et ravissaient nos corps de femmes. Nous étions là pour plonger dans notre féminin et guérir nos cœurs. La présence des chamanes Marina et Mercedes nous a apporté l’essence même de la forêt incarné: notre divine humanité.
Dans leurs gestes tendres, leur droiture et leur sagesse, nos corps étaient magnifiés et notre féminité originelle révélée.
Peu de temps après ce bain de fleurs et aussi, la peinture sur corps, nous avons vu apparaître des traces étranges sur nos corps. Des petites traces rouges. Des médecins étaient dans le groupe, après quelques investigations, il s’avérait qu’il s’agissait peut-être de bilharziose, un parasite de peau. Nous devions faire des examens pour en être assurées. Était-ce l’eau de la rivière? L’effet de la peinture et du soleil?
Nous regardions, à la fois amusées et inquiètes, des petites marques rouges qui n'étaient pas douloureuses, mais bien présentes.
Près de Tarapoto, nous fûmes invités dans un célèbre centre d’accueil pour personnes en situation d’addiction: le centre Takiwasi. Ce médecin français, Jacques Mabit, accueillait des malades pour les soigner de leur addiction grâce à l’Ayahuasca et aux plantes.
Chez lui, aucun traitement chimique. La cure était composée de cérémonies d’Ayahuasca, de plantes qui poussaient dans leur jardin, de thérapie verbale, et surtout, d’une grande foi en la Vie.
Nous lui avons demandé s'il avait un avis à nous donner sur nos marques rouges sur le corps, qui nous préoccupe quelque peu.
Après notre départ il nous transmettra ceci: “J’ai interrogé le tabac sur vos marques rouges sur le corps. Ne vous lavez avec aucun produit pour le corps pendant une semaine. Que de l’eau, pas de savon.Les marques finiront par disparaître”.
Ce médecin français puisait désormais sa médecine dans la tradition amazonienne: il interrogeait une plante, il nous transmettait un protocole, sans plus d’explications.
Chez les autochtones, les mots et le pourquoi importent peu. Ce qui compte, c’est la guérison, c’est “aller mieux”.
Je venais de passer cinq semaines à me donner corps et âme pour l’Ayahuasca et les traditions amazoniennes, dans le but de me guérir et laisser ma véritable nature se révéler.
J’avais eu une foi inébranlable en la liane, un lien avec elle qui nous unissait à jamais.
Une gratitude infinie pour ces êtres que j’ai rencontré et font perdurer cette tradition.
Pourtant, j’ai eu peur. Avec les autres femmes, nous nous sommes regardées, perplexes. “Qui va le faire? Qui va suivre le protocole du médecin?”
Aucune d'entre nous n’en a eu envie. Je n’en ai pas eu envie.
Je suis rentrée en France, à Toulouse, j’ai pris rendez-vous immédiatement chez ma médecin, qui m’a envoyée au service Maladies Tropicales de Toulouse.
Quatre ans plus tôt, j’avais été suivie de près par le service Maladies Tropicales de Montpellier, pour mes vertiges à mon retour d’Inde. Je savais qu’un cycle se rejouait.
J’ai passé quelques examens, puis le verdict: ça n’était “rien”. Ce n’était pas la Bilharziose. Une petite infection de peau bénigne.
Au moment où la médecin m’annonçait cette conclusion, je sentis une grande détente en moi. Comme si mon retour d’Amazonie imposait de passer par une garde de l’Occident, garante de l’ordre établi en cette terre: “Moi médecin en blouse blanche, je t’annonce que tu n'es pas malade d’avoir été chez les chamanes en Amazonie. Moi médecin en blouse blanche, j’atteste que ton séjour ne t’a pas rendue folle, que tu es apte à revenir chez nous et que tu pourras t’adapter”.
Voici ce que cette médecin m’a transmis, inconsciemment, dans son compte rendu.
J’étais légère, en rentrant chez moi. J’avais été rassurée par une médecin française, je n’avais pas écouté les conseils transmis par le tabac, après des jours à avoir baigné dans une vision du monde infiniment plus grande, transmise par des personnes qui incarnent ce savoir de générations en générations.
En revenant en France, peut-être que ce savoir était trop grand pour ce que mon esprit pouvait contenir? Peut-être cette médecin m’a aidé à le rapetisser? Pour le contenir, en faire une petite boule convenable à ma culture? Peut-être qu'il devait en être ainsi, le temps d’intégrer la grandeur de la forêt dans mon corps.
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